Le manga et l'énivrement des live: Beck

Il y a des manga qui mettent la musique au centre du récit, mais c’est assez difficile de suggérer la musique avec le support papier. A priori, le manga n’est pas apte à le faire, parce que c'est un art visuel et non sonore. Contrairement au manga, il y a d’autres formes d’art visuel, comme le cinéma et l’anime, qui peuvent intégrer facilement le son dans leur contenu, notamment le premier, qui joue beaucoup sur son côté musical. La musique de film constitue déjà une partie de la musique contemporaine. Côté anime, par exemple, Nodame Cantabile, adaptation d'un manga qui met en scène une pianiste et un chef d’orchestre en herbe, utilise des morceaux assez connus de la musique classique, comme la « Symphonie No 7 en A majeur » de Beethoven, et fait appel à de vraies interprétations.

Le manga en lui-même ne peut pas reproduire le son comme le film ou l’anime. Si le mangaka veut mettre en scène la musique dans son œuvre, il doit donc trouver une solution pour représenter la musique dans le cadre du support papier,

Il y a des procédés archaïques, mais assez fréquents, pour suggérer la musique dans le manga (notamment ceux des années 60 et 70): par exemple, mettre les paroles d’une chanson en dehors des bulles, comme des onomatopées ; ou encore s’il s’agit de musique instrumentale, dessiner les notes de musique (souvent ondulée) qui sortent de la guitare ou d’autre instrument.

(image: Shiroi Toroika de Hideko Mizuno, 1964)

Dessiner des notes de musique ou mettre des paroles de chanson en dehors de bulle, c'est un procédé qui permet de représenter la musique en une seule vignette. Dans ce cas le lecteur doit s'arrêter un instant sur cette vignette pour sentir la musique.

Mais Beck, qui met en scène un groupe du rock, choisit un tout autre moyen pour faire sentir la musique. Comme il s’agit de rock, ce qui compte le plus pour le suggérer, c’est de recréer le groove avec les procédés propres au manga. L’auteur, Harold Sakuishi, réussit à reproduire ce groove avec une succession des vignettes, en variant brusquement le point de vue à chaque vignette. Ce changement de point de vue  ne peut  être assimilé au mouvement de caméra dans un film, parce que dans le tournage d'un film c'est impossible de faire bouger la caméra aussi vite que cela. Le regard du lecteur ne s'arrête pas à une vignette pour sentir la musique, c'est la succession de vignettes crée une sorte d'énivrement auprès du lecteur:

(image : tome 31, p.p. 184-188)

 D’abord le regard est porté sur l’ensemble du groupe du loin, ensuite il tourne vers l’audience, puis il revient encore une fois vers le groupe mais cette fois d'unangle différent, avant de montrer successivement l’audience , le guitariste au « gros plan », le public, le batteur, l’audience, le chanteur.

Il n’y a pas de paroles en forme d’onomatopée, ni de notes de musique qui sortent de la guitare. Mais cette succession de vignettes crée un effet de groove, ce qui est essentiel pour la musique rock. Et cet effet fait sentir au lecteur une sorte de musique, reconstruite dans son cerveau.

et une autre séquence de live:

(image: tome 7, p.p. 107-113)

Il y a un peu plus d'onomatopées que dans la séquence déjà citée, mais elles ne représentent pas directement des notes de musique. C'est le lecteur qui reconstruit le vrai son de chaque instrument. Après, il y a toujours un changement brusque de point de vue à chaque vignette et  une alternance des vignettes consacrées au groupe et au public.

Cette série compte 34 tomes, l'histoire racontée ici est une sorte de  "succes story" d'un groupe du rock dont le dénouement est assez prévisible. Mais, malgré sa simplicité, le récit est captivant et il n'y a aucun doute que Harold Sakuishi est un mangaka expérimenté et génial. S'ajoute à cela  l'enivrement d'un concert, reproduit par la succession de vignettes. 

Comments

[Pata]

Je viens de découvrir ce blog c'est intéressant Beck j'aime beaucoup ce manga mais je dois dire qu'il y a plein d'autre choses que je découvre ici merci